Le
sénateur Jean-Vincent Placé, d'Europe Ecologie Les Verts, est le
principal instigateur d'un projet de loi visant à faire inscrire
l'obsolescence programmée comme un délit.
« L’obsolescence
programmée peut être définie comme suit :
« c’est le concept selon lequel la durée de vie des produits
serait prédéterminée et fixée à l’avance et délibérément
par les fabricants afin d’inciter le consommateur à les remplacer
plus rapidement ».
Bien
que les définitions de l’obsolescence programmée ne soient pas
toutes les mêmes - certaines évoquent franchement un
raccourcissement de la durée de vie des produits, d’autres ne
prononcent pas les adverbes « délibérément » ou «
volontairement » - toutes affirment que l’objectif premier de
l’obsolescence programmée est d’inciter le consommateur à
acheter de nouveaux produits pour remplacer les anciens.
Pour
atteindre l’objectif premier qui est d’inciter l’acheteur à
consommer, il faut planifier, programmer la durée de vie du produit,
il faut fixer la fin de vie, la mort du bien après une certaine
période déterminée. Les détracteurs de l’obsolescence
programmée avancent qu’il est impossible pour les ingénieurs,
aussi talentueux soient-ils, de fixer la durée de vie d’un
produit. Ils sont incapables de calculer la période après laquelle
le bien « doit » tomber en panne. En effet, les conditions
d’utilisation et d’autres variables entrent en compte, ce qui
rend impossible une telle estimation et a
fortiori une
telle programmation.
Pourtant,
nombre sont ceux qui, luttant contre l’obsolescence programmée,
affirment que cela est possible en changeant les matériaux des
appareils.
A
l’instar de la société de réparation « La Bonne Combine »
situé à Lauzanne et qui a reçu le prix de l’éthique pour son
combat contre « le tout jetable ». En effet, le but de cette
société de réparation est de contourner les astuces qu’utilisent
des fabricants d’appareils (le plus souvent électriques ou
électroniques comme des appareils électroménagers) pour les
condamner à une mort certaine après une période déterminée.
Evidemment, les fabricants ou du moins leurs ingénieurs ne peuvent
pas donner une date précise quant à la survenance d’une panne
fatale mais il s’agit d’un choix stratégique que de mettre des
produits plus fragiles : par exemple des cordons d’alimentation
plus fin pour les aspirateurs. Le fabricant est ainsi pratiquement
sûr de vendre un nouvel aspirateur plus tôt que prévu.
L’ingénieur
Jean Michel Raibaut a travaillé pour de grandes marques d’appareils
électroménagers. Il affirme que les machines à laver (par exemple)
sont programmées pour tomber en panne avant 10 années
d’utilisation. Il s’agira d’une panne fatale, obligeant le
consommateur à en racheter une neuve. En effet, les machines à
laver sont prévues, sont programmées pour durer 2000 à 2500 cycles
de lavage. A raison de cinq lavages par semaine, l’appareil tombera
en panne au bout de 8 à 9 ans. Il faut savoir que 8 machines à
laver sur 10 sont dotées de cuves en plastique qui remplacent celles
en inox. Il suffit d’une seule pièce de monnaie pour qu’elles se
cassent (à cause de la vitesse de rotation au moment de l’essorage)
ou même d’une trop haute température de l’eau pour que la cuve
se déforme. Ce genre d’accidents n’existait pas avec les cuves
en inox. Cela signifie que les fabricants, en changeant certaines
pièces maîtresses de leurs biens, font en sorte d’amener
l’appareil vers une mort certaine après une durée d’utilisation
prédéterminée.
Les
propos allégués par Jean Michel Raibaut sont confirmés par Kayvan
Mirza, ingénieur concepteur de télévision. Ce dernier affirme
également que la durée de vie des télévisions est fixée à 10
années d’utilisation. Les téléviseurs sont prédestinés à
fonctionner 20 000 heures ce qui fait une moyenne de 9 années
d’utilisation donc de vie car dès qu’un composant tombe en panne
c’est le téléviseur entier qui cesse de fonctionner afin de
maintenir un taux de renouvellement assez régulier. Selon Kayvan
Mirza : « il
faut que le produit soit suffisamment fiable mais pas trop ».
Suffisamment fiable pour que les consommateurs ne se tournent pas
vers la concurrence mais pas trop pour qu’ils achètent
régulièrement un nouveau produit sur un marché qui est déjà en
saturation depuis plusieurs années. Il faut admettre que cela est
curieux et même étonnant de voir que les achats d’équipement
électriques ou électroniques ont été multipliés par six depuis
le début des années 1990. Comme pour étayer les propos de
Jean-Michel Raibaut et Kayvan Mirza, le rapport des Amis de la Terre
et du CNIID avance que la durée de vie des anciens téléviseurs
équipés des tubes cathodiques était entre 10 et 15 ans en moyenne
alors que l’écran plat avoisine les 5 ans. Ce constat aggrave même
les estimations des deux ingénieurs (cités ci-dessus) qui étaient
de donner une durée de vie inférieure à 10 ans mais qui en
resterait proche. […]
Un
des arguments avancés pour lutter contre l’obsolescence programmée
est le gaspillage de masse que ce type de pratique engendre tandis
que, malgré les efforts des fabricants pour maintenir un certain
niveau de consommation, les consommateurs prennent conscience
petit-à-petit de l’enjeu que représentent les ressources
naturelles face à l’obsolescence programmée notamment en raison
des problèmes sanitaires qu’elle engendre .
L’obsolescence
programmée à l’origine du gaspillage de masse entraînant
l’épuisement des ressources naturelles.
Un
lien, que beaucoup jugent indirect, peut être fait entre
l’obsolescence programmée et les problèmes écologiques et
environnementaux.
En
effet, parmi les produits les plus renouvelés se trouvent les
appareils électriques ou électroniques : un Français achète
environ six fois plus d’équipements électriques ou électroniques
qu’au début des années 1990. Et ces derniers nécessitent
énormément de terres rares (c’est-à-dire des minerais et métaux
difficiles à extraire) qui sont présents dans la plupart des
produits électriques ou électroniques en raison de leur propriété
magnétique permettant la miniaturisation. Ce genre de métaux fait
partie des composants des téléphones portables, qui est à l’heure
actuelle l’appareil le plus fabriqué et qui est également le plus
touché par l’obsolescence programmée : les téléphones portables
sont changés tous les 20 mois environ par la population et même
tous les 10 mois dans la tranche d’âge des 12-17 ans. Il est
sidérant de remarquer que les téléphones portables peuvent
contenir jusqu’à 12 métaux différents à hauteur de 25% du poids
total des appareils.
L’OCDE
(Organisation et coopération de développement économiques) en
partant des niveaux connus en 1999 a affirmé qu’en maintenant un
taux de croissance annuel de 2%, les réserves de cuivre, plomb,
nickel, argent, étain et zinc ne dépasseraient pas 30 années et
celles d’aluminium et de fer se situeraient entre 60 et 80 ans en
moyenne. L’obsolescence programmée a un impact direct sur
l’environnement car, pour produire toujours plus d’appareils
électriques et électroniques, pour répondre à une demande créée
artificiellement par la réduction volontaire de la durée de vie, il
faut pratiquer l’excavation de grandes quantités de terre
engendrant le défrichage des sols, l’élimination de la végétation
et la destruction des terres fertiles.
Le
mode de consommation, qui ressemble plus à une surconsommation,
affaiblit les ressources de la Terre. Le fait de jeter des produits
qui, pourtant, fonctionnent encore ou même le fait de mettre en
œuvre l’obsolescence programmée sont des causes de cette
surconsommation. Le problème auquel il faut faire face est celui de
notre économie qui, à la recherche perpétuelle d’un taux de
croissance positif, repose sur le « consommer plus ». Et pour
consommer plus, il faut réduire la durée de vie des produits afin
d’inciter le consommateur à remplacer le produit prématurément
mort.
Malheureusement,
une telle politique a des conséquences non négligeables sur le «
capital naturel » qui peut être défini ainsi : «
Le capital naturel fait référence aux ressources telles que
minéraux, plantes, animaux, air, pétrole de la biosphère
terrestre, vus comme un moyen de production d'oxygène, de filtration
de l'eau, de prévention de l'érosion, ou comme fournisseur d'autres
services naturels. Le capital naturel constitue une approche
d'estimation de la valeur d'un écosystème, une alternative à la
vue plus traditionnelle selon laquelle la vie non-humaine constitue
une ressource naturelle passive ».
Cette estimation de la valeur d’un écosystème est utilisée par
WWF (World Wide Fund for Nature) pour son rapport Planète Vivante
paru en avril 2012. Il s’agit d’un rapport alarmant, repris
plusieurs fois par la presse notamment sur Internet.
Le
rapport met l’accent sur le lien existant entre le mode de
consommation actuel et le tarissement des ressources naturelles.
Ezzedine Mestiri en 2003 écrivait déjà : «
La planète est définitivement peuplée de consommateurs : Elle
produit aujourd’hui en moins de deux semaines l’équivalent de la
production matérielle de toute l’année 1900. La production
économique double environ tous les 25 ans ».
Et c’est ce que confirme la WWF dans son rapport d’avril 2012.
Aujourd’hui, il faut une année et demie à la planète pour
régénérer l’intégralité des ressources renouvelables que les
êtres humains consomment en une seule année. Plus grave encore, si
le mode de consommation de la population, qui s’apparente plus à
de la surconsommation, ne change pas de façon significative, il
faudra l’équivalent de deux planètes pour répondre à nos
besoins annuels à l’horizon de 2030.
Pourtant,
ce n’est pas comme si nous n’avions pas été prévenus il y a
déjà plus de quatre décennies. Alors que les Trente Glorieuses
battaient leur plein et que la croissance dans les pays les plus
développés atteignait des chiffres impressionnants, le Club de Rome
s’interrogeait sur les conséquences d’une telle croissance sur
les ressources naturelles non renouvelables de la Terre.
Le
Club de Rome était un groupe de réflexion crée le 8 avril 1968 qui
réunissait une poignée d'hommes, occupant des postes relativement
importants dans leurs pays respectifs (un recteur d'université
allemande, un directeur de l'OCDE, un vice-président d'Olivetti, un
conseiller du gouvernement japonais...), et qui souhaitaient que la
recherche s'empare du problème de l'évolution du monde pris dans sa
globalité pour tenter de cerner les limites de la croissance.
Ce
club est surtout connu pour le rapport demandé à une équipe de
chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (ou MIT) et
rendu public en 1972 sous le nom plus connu de Rapport Meadows &
al (du nom du directeur de l’équipe : Dennis Meadows). Il a été
publié par la suite sous le titre The
Limits to Growth
chez Universe Books et traduit en français par le titre Halte
à la croissance ?
Ce
rapport se base sur des données scientifiques pour dénoncer le
pillage que subit la planète en raison de sa surexploitation
expliquée par le mode de consommation de la population notamment des
pays développés. A l’époque de ce rapport, les chercheurs
n’avaient pas été réellement pris au sérieux, jugés comme «
catastrophistes ». En effet, si les tendances de croissance des pays
développés restent inchangées, les limites de la croissance seront
atteintes un jour ou l’autre dans les cent prochaines années en
raison de la disparition des ressources naturelles sans lesquelles il
est impossible de subvenir aux besoins de l’humanité. Cela se
traduira par un « effondrement ». Ce terme n’est pas à entendre
comme un synonyme de la fin du monde mais plutôt comme «
la diminution brutale de la population accompagnée d'une dégradation
significative des conditions de vie (baisse importante du produit
industriel par tête, du quota alimentaire par tête, etc.) de la
fraction survivante » d’après
Jean-Marc Jancovici, auteur de la préface
du livre publiant le rapport Meadows. Pourtant, en 1972, la situation
n’était pas la même : consommateurs et industriels croyaient
encore aux ressources infinies et illimitées de la planète, la
population mondiale n’avait pas encore atteint le nombre de 4
milliards d’êtres humains, les pays qui n’étaient pas en voie
de développement le sont aujourd’hui et utilisent énormément de
métaux et autres minerais pour maintenir leur taux de croissance
afin de pouvoir continuer leur développement. Les marchés des pays
développés sont arrivés depuis des années à saturation. De peur
de voir la consommation de la population reculer et ainsi affaiblir
le taux de croissance, les fabricants ont mis en pratique
l’obsolescence programmée, ce qui leur permet un travail en amont
(l’extraction des ressources naturelles) et en aval (la vente des
produits touchés par l’obsolescence programmée). Alors pourquoi
changer ? Quand bien même le rapport Meadows ou même celui de la
WWF qui annonce que, si la population mondiale vivait comme la
population américaine, il faudrait quatre planètes pour régénérer
les besoins annuels de l’humanité, il semble
évident que l’obsolescence programmée satisfasse le plus grand
nombre : les fabricants, les distributeurs, les vendeurs, les
réparateurs après-vente voire même certains consommateurs qui y
voient l’opportunité de changer régulièrement d’appareils
électriques ou électroniques (pour ne citer que ceux-là)... »
Télécharger
le mémoire de Lydie TOLLEMER « Obsolescence programmée » :