« Les Bonzes, les
Derviches, les Fakirs, les Kalenders, les Sannyasis, les Santons, les
Aïssaouas et quantité de personnes appartenant dans l'Inde à tous
les rangs de la société, se procurent à volonté des extases, des
crises extatiques et mille visions en absorbant des pilules d'Esrar,
dans lesquelles il n'entre guère que du haschisch... »
Ernest Bosc
« Si l'homme savait se
servir des plantes, écrit Ernest Bosc dans son Traité théorique
et pratique du haschisch, il
n'aurait pas besoin d'avoir recours aux médecins, ni aux remèdes
minéraux sauf dans des cas exceptionnels.
La plante a des vertus
spéciales, elle a une vie propre, que l'homme croit connaître et
qu'il ne connaît pas. Pour le vulgaire, la vie de la plante n'est
qu'une vie végétale, végétative pourrions-nous dire ; pour le
Penseur, la plante a aussi une vie animale, et c'est celle-ci qui lui
donne sa puissance, ses qualités curatives ; car de même que
l'homme, la plante a une constitution septénaire, si on l'étudie à
des points de vue divers; elle comporte en effet :
1° Une matière ou
substance, une eau végétative, au moyen de laquelle se meuvent sept
forces en action ; ce que Paracelse a dénommé les Derses ou
exhalaisons de la terre et à l'aide desquelles croit la plante ;
2° Une forme en laquelle
gît le principe actif végétatif ;
3° Une âme qui comporte,
l'air sensitif, c'est-à-dire qui réunit la matière et la forme ;
c'est le Clissus de Paracelse, la semence corporifiée (la
force vitale, Prana des Hindous) ;
4° Une matière, qui
renferme les germes de reproduction ;
5° Le corps astral de la
plante : le mixte organisé, le Leffas de Paracelse. Celui-ci
combiné avec la force vitale de la plante constitue l'Ens primum
qui possède d'après le grand Alchimiste des vertus curatives très
importantes; c'est ce même Leffas, qui est le sujet de la
Palingénesie, qui consiste à faire revivre le fantôme de la
plante, ou bien encore à faire revivre la plante (corps et âme) ou
enfin à la créer avec des matériaux empruntés au règne minéral
(aux cendres de la plante);
6° La physiologie de la
plante qui s'exerce depuis ses radicelles les plus tenues et qui
atteint jusqu'à sa tète son sommet ;
7° Une essence universelle
qui lui fournit tous ses modes de transformation : accroissement,
formation, putréfaction, coagulation, etc., etc. »
La pénalisation du cannabis
profite aux réseaux criminels, empêche l'utilisation à bon escient
de cette plante et favorise des abus que Bosc dénonçait en 1904 en
ces termes :
« Il serait bien
inutile, pensons-nous, d'essayer de cacher un fait de toute évidence
: c'est que notre belle civilisation est en voie de complète
décadence.
Bien des actes démontrent
cette vérité, mais ce qui la prouve très clairement, c'est la
foule de détraqués, de névrosés, de névropathes, qui recherche
des plaisirs excentriques et des jouissances anormales, presque
inconnues avant le temps présent.
Aussi nos dégoûtés de la
vie, nos petits crevés et leurs charmantes crevettes devaient user
et abuser des substances stupéfiantes ; c'était écrit, c'était
fatal.
Ils devaient goûter à la
coupe dangereuse des narcotiques, à ces narcotiques au goût âcre,
à la saveur vireuse, afin de passer par des états de nervosisme
tout à fait inconnus, tout à fait surnaturels. hyper-physiques.
De là l'usage et bientôt
l'abus de la morphine, de l'éther, de l'eau de Cologne, du chloral,
de la cocaïne et autres produits analogues fort nombreux dans notre
Occident. Mais il semblait que ces névrosés ne devaient point
connaître le haschisch et l'opium ; c'étaient là des produits
orientaux presque inconnus chez nous il y a seulement vingt-cinq ou
trente ans ; et aujourd'hui le nombre de personnes qui abusent
de ces substances est très considérable.
Combien de brillantes
intelligences ont sombré dans des maisons d'aliénés, rien que par
l'abus de ces substances stupéfiantes, qui donnent à notre cerveau
surexcitation et douce ivresse, mais arrivent insensiblement à
paralyser cet organe !
Et ce ne sont pas ceux qui
sont aux prises avec les difficultés de la vie qui usent de ces
excitateurs psychiques pour oublier leurs maux, mais bien ceux qui,
nés sous une bonne étoile, ont été gâtés par quelque bonne fée
et n'ont jamais rien eu à désirer. C'est pour cela que, blasés en
toute chose et sur toute chose, ces assoiffés de plaisir se sont
crus malheureux parce qu'ils rêvaient encore et toujours davantage.
Ces insatiables de bonheur, ces repus de fortune et de biens ont,
dans leur imagination déréglée, cherché de plus grandes
jouissances, et ils y sont arrivés en empruntant à l'Orient ses
drogues si subtiles, mais si dangereuses, drogues qui donnent à
l'homme des illusions si fécondes que, dès que le névropathe a
goûté à ces plaisirs factices, il ne saurait jamais plus s'en
passer.
De l'usage à l'abus, il n'y
a guère qu'un tout petit pas, et c'est ce pas, que nous voudrions
empêcher nos contemporains de franchir, si c'est... possible.
Nous ne voulons pas pour
cela nous poser en moraliste et sermonner nos lecteurs ; oh !
Nullement ! Nous estimons, en effet, qu'il est impossible d'enrayer
les violentes passions humaines. Nous laissons donc à l'homme la
liberté d'user des stupéfiants, mais nous lui donnerons des
recettes et des conseils pratiques pour lui permettre de satisfaire
sa passion favorite, sans danger pour sa santé.
C'est là rendre un mauvais
service, dira quelque censeur, et le procédé, ajoutera-t-il
peut-être, sent quelque peu son Tartufe de vouloir « donner de
l'amour sans scandale, et du plaisir sans peur ».
Nous ne saurions trop
protester contre une pareille affirmation, et nous espérons bien
qu'un grand nombre de lecteurs nous saura gré de lui donner des
conseils utiles pour empêcher de faire dériver un plaisir
inoffensif en une passion dangereuse, malsaine et funeste.
Et puis, l'homme n'a pas été
créé pour répéter à chaque instant : « Frère, il faut mourir !
» peut donc se permettre quelques plaisirs licites et parfois — un
peu illicites : seulement il ne doit pas y goûter trop souvent, il
ne doit pas en abuser. »
Ernest Bosc, Traité
théorique et pratique du haschisch.